L’expertise d’usage des espaces publics des quartiers du bien vieillir : un pas en avant vers l’universalité

Ces améliorations ne doivent pas bénéficier qu’aux seniors : « tout trajet commence et finit à pied ». Améliorer le confort d’usage des espaces publics pour les seniors devra ainsi profiter à toutes les personnes ayant un handicap dans leur mobilité, et dans une acception plus large de la notion d’accessibilité, à tous les usagers de l’espace public.

Si l’agglomération nantaise contient un grand nombre de quartiers de proximité, leur adaptation à l’enjeu de la longévité repose en premier lieu sur la proposition d’une offre de services essentiels à la vie quotidienne permettant de se nourrir, se déplacer vers et se soigner dans un espace assez restreint pour être parcouru à pied, dans des quartiers qualifiés « Quartier du bien vieillir » (ou seniors friendly).

Aussi, la démarche de déambulation proposée permet de confronter l’approche théorique à la réalité vécue par les habitants seniors pour accéder à ces services en faisant appel à leur expertise d’usage à partir de 6 leviers identifiés préalablement. Le panel citoyen constitué pour ces expertises a été nommé la « Communauté des observateurs » par la métropole.

 

Que retenir de ces déambulations ?

8 déambulations, 8 thématiques de fonds différentes

Avec la même structuration, chaque déambulation a permis d’aborder une thématique de fonds différente :

  • l’intensité du trafic routier qui nuit à l’ambiance générale pendant le parcours,
  • la déambulation peu aisée sur des trottoirs étroits et encombrés d’objets mobiles (poubelles le jour de la collecte des ordures ménagères),
  • l’accessibilité sur un territoire marqué par le relief et des rues étroites typiques des bourgs anciens,
  • les nouveaux modes d’usage sur les espaces publics partagés et la cohabitation entre différents modes de déplacement,
  • la qualité des revêtements et leur praticabilité,
  • la perte de dynamisme de l’offre commerciale de la polarité,
  • la continuité entre espaces publics et espaces privés ouverts aux piétons (parking supérette notamment…),
  • la découverte d’un nouveau quartier que peu de participants pratiquait.

 

Des situations contrastées, reflet de la diversité de la Métropole

Répondant tous lors de l’analyse aux critères définissant un quartier de bien vieillir, les huit visites ont cependant présenté des situations contrastées sur :

  • les commerces et services qui s’étendent de l’offre minimale à une offre dense permettant des choix multiples,
  • les espaces publics aux configurations diversifiées, allant du grand boulevard permettant au piéton de prendre ses aises lors de la déambulation aux rues étroites proposant des cheminements plus contraints,
  • les aménagements contrastés entre les nouveaux aménagements sécurisants pour les piétons et les aménagements vieillissants.

Cette multiplicité de situations amène à chercher des solutions adaptées à chaque contexte et, à fortiori, il ne peut y avoir de réponse unique.

 

L’offre en commerces et services

Des commerces et services appréciés et bien fréquentés…

Les participants aux déambulations déclarent bien fréquenter les commerces et services de leur quartier, puisque, si plus de 90% des participants y ont recours, plus du quart des personnes (27%) les utilisent quotidiennement et près des deux tiers (65%) entre souvent et quotidiennement.

Ceci montre l’importance de maintenir ces commerces et services de proximité.

Cependant, les participants, au travers de leurs remarques, pointent des enjeux pour conforter ces quartiers du bien vieillir, notamment sur :

  • avoir une supérette de proximité quand le quartier en est dépourvu,
  • maintenir un commerce traditionnel de qualité (boucherie…) quand le quartier est équipé d’une supérette,
  • pouvoir accéder aux médecins spécialistes.
… et des dynamiques à surveiller et accompagner

Sur huit déambulations, cinq centralités/polarités s’affirment au travers notamment des projets en cours ou des réalisations récentes.

Les trois autres centralités/polarités constituées sont à surveiller pour maintenir les caractéristiques d’un « Quartier du bien vieillir ». Il a en effet été constaté :

  • la dynamique d’éloignement des services qui rend plus difficile la capacité d’accéder à pied à l’ensemble,
  • la difficulté à maintenir les services existants pour ne pas descendre en-dessous de l’offre minimale,
  • le rapport à l’espace public et les ambiances urbaines qui rendent la polarité moins attractive pour les piétons seniors.

 

Les préconisations issues de la Communauté des observateurs sur les 6 leviers expertisés

Trottoirs et cheminements (levier 1) : l’aménagement de l’espace public… mais pas seulement

Un aménagement de l’espace public…

L’aménagement de l’espace public est un acte qui peut être considéré comme technique, mais au service d’une même ambition : celle de la qualité d’ambiance lors de la déambulation.

Les premières préconisations des participants portent sur l’amélioration du confort d’usage des cheminements et vont de l’entretien courant aux aménagements à poursuivre (de l’amélioration ponctuelle à la refonte complète des espaces publics de certains quartiers), les revêtements à privilégier (plutôt des revêtements lisses et non glissants), et la continuité du cheminement à assurer entre espaces publics et espaces privées ouverts (parking de supérette ou de copropriétés).

… pour favoriser des ambiances sécurisantes et apaisées

Un dénominateur et enjeu commun apparaît sur l’ensemble des déambulations : la cohabitation entre les différents modes de déplacement.

En effet, si de nombreuses remarques ont portées sur la vitesse excessive des véhicules dans les zones 30, les participants ont montré leur méconnaissance pour pratiquer les zones de rencontre limitées à 20km/h et souligné la cohabitation difficile entre les piétons et vélos sur les voies vertes.

Ainsi, l’aménagement de l’espace public, si parfait soit-il, ne suffit pas s’il n’est pas accompagné par l’apprentissage des nouvelles règles et le changement de comportement des différents usagers.

Une alternative apparaît également : le développement de parcours piétons à l’abri du trafic routier, c’est à dire déconnectés des voiries. Cette question peut être corrélée aux projets urbains et aux OAP qui apparaissent dans le nouveau PLUm, pour améliorer la porosité d’ilots parfois très grands et renforcer le maillage des cheminements piétons.

Traversées (levier 2) : une métropole en mouvement

L’investissement réalisé par la Métropole sur l’accessibilité PMR des passages piétons est un acquis au bénéfice de tous, y compris des seniors.

Tous les passages piétons vues lors des déambulations sont aménagés, à de rares exceptions près.

Il ressort de l’expertise d’usage un sentiment global de sécurité dans les traversées, avec toutefois quelques améliorations ponctuelles signalées (traversées dangereuses par le manque de visibilité à ses abords, vieillissement des aménagements ou renforcement du rappel des vitesses autorisées pour les véhicules).

Cependant, si les traversées sont aménagées en accessibilité PMR, peu sont pourvues d’un ilot refuge central. Il peut être préconisé le déploiement de cet équipement de façon ciblée, car plus on vieillit, plus on pratique la traversée en deux temps et l’ilot refuge central devient alors un allier précieux.

Les observateurs ont également souligné la différence de traitement des passages piétons qui ne facilite pas leur repérage par tous. L’harmonisation dans le traitement peut être recommandée (installation de potelets à tête blanche par exemple…), et pourra être hiérarchisée et déclinée selon le contexte (grandes voiries, voiries de desserte, zone 30…).

Enfin, il convient de rappeler le nécessaire changement de comportement de l’automobile pour veiller à mieux respecter le piéton.

Transports collectifs et arrêts (levier 3) : enrichir les bons réflexes

Là aussi, l’investissement réalisé par la Métropole sur l’accessibilité PMR des arrêts de transports collectifs (quai surélevé, bande podotactile…) est un atout profitant à tous, y compris aux seniors. Aujourd’hui, plus de 92% des habitants de la Métropole sont à moins de 500 mètres d’un arrêt équipé.

Les participants ont une bonne appréciation des arrêts et abris, mais préconisent des améliorations ponctuelles sur les équipements manquants pour certains (bandes podotactiles…), la hauteur d’assise dans l’abri pour d’autres, la lisibilité des informations (notamment celles des panneaux d’informations luminescents peu visibles en plein soleil) et le positionnement de certains arrêts.

La dynamique engagée est à poursuivre en anticipant la question du vieillissement dans la conception. A ce titre, il conviendra de lever les freins à l’utilisation des transports collectifs par les personnes seniors (voir contribution de l’AURAN sur la mobilité des seniors) en particulier le sentiment d’insécurité traduit à différents niveaux (peur de tomber, de se tromper, des autres…).

Les bancs (levier 4) : distinguer les bancs entre usage récréatif et aide à la déambulation

Il a été constaté le peu de bancs installé sur les parcours empruntés. Ceux-ci sont plus présents dans les espaces verts.

Aussi, il convient de distinguer les bancs entre usage récréatif ou de loisir (dans les parcs, squares…) et aide à la déambulation le long des cheminements. Les participants préconisent que ce type d’équipement soit déployé de façon ciblée pour faciliter la déambulation, et notamment pouvoir faire une pause et reprendre son souffle sur son trajet. Ils précisent également que ces équipements sont importants pour les personnes âgées isolées, car ils permettent de développer le lien social.

Ils apportent des préconisations sur leur confort d’usage : pas trop bas pour se relever facilement, équipé d’un dossier pour pouvoir se reposer et d’accoudoirs pour aider à se relever.

Les espaces verts (levier 5) : un équipement plébiscité

Les observateurs ont globalement une bonne appréciation des espaces verts expertisés (notes entre 2,18 et 3 sur 3).

Au travers de leurs commentaires, ils souhaitent que cette offre soit renforcée dans leur quartier par le développement d’espaces verts de proximité (futurs ilots de fraicheur) du type square plus intimes et complémentaires aux grands parcs ou aux espaces de nature présents le long des cours d’eau de la métropole.

Ils souhaitent également que les équipements y soient développés, notamment pour y pratiquer une activité physique ou de jeux (parcours de santé, appareil de musculation, boulodrome, échiquier…).

Enfin, un enjeu d’animation apparaît pour ces lieux de vivre ensemble et de lutte contre l’isolement des personnes seniors.

Les sanitaires (levier 6) : des solutions alternatives à trouver

Sur les huit quartiers visités, six sont équipés de toilettes publiques.

Les observateurs déclarent peu utiliser les toilettes présentes, préférant attendre de rentrer chez eux. Ils jugent pourtant cet équipement nécessaire parce qu’il est rassurant de savoir que l’on peut en trouver sur son trajet.

Ils observent qu’en général, elles sont mal signalées et donc peu repérables, et leur état (propreté) a fait l’objet de nombreux commentaires.

Pour les quartiers non équipés, les participants disent trouver des solutions quand c’est nécessaire : soit on resquille en utilisant les toilettes dans la supérette du quartier, soit on paye une consommation en allant au café du coin.

Ce constat amène à chercher des alternatives nouvelles à développer pour :

  • Assurer le maillage du territoire en s’appuyant sur l’existant (équipements privés pouvant être mis à disposition dans les commerces notamment… À ce titre, l’exemple allemand « Die Netten Toiletten » pourrait être exploré).
  • Assurer un bon état permanent.
  • Sortir de l’appréhension d’utiliser un appareil automatique.

Bilan et perspectives

En premier lieu, lors de la restitution au Festival prospectif, un participant a souligné qu’il était important que les habitants voient concrètement et donc rapidement que leurs préconisations étaient prises en compte et suivies d’actions. C’est pourquoi, un certain nombre d’actions s’inscriront dans le court terme (entretien courant, amélioration ponctuelle…) et d’autres dans le plus long terme (refonte d’espaces publics…).

Si beaucoup de choses vues et entendues pendant les déambulations étaient connues, cette démarche a permis d’avancer sur certains sujets ou de faire émerger des solutions nouvelles (ou des pratiques oubliées) pleines de bon sens.

Les préconisations apportées par la Communauté des observateurs apportent un éclairage complémentaire aux actions engagées pour l’universalité d’usage de l’espace public et permettent d’enrichir les politiques publiques locales, notamment les documents mis en place par la collectivité tels que la charte d’aménagement de l’espace public. Elles soulèvent aussi d’autres enjeux pour en favoriser un usage partagé et paisible.

Des leviers pertinents

Si certains leviers ont plus de force et d’impact sur l’aménagement, les 6 leviers d’aménagement expertisés pendant les déambulations sont apparus pertinents aux observateurs. Ils n’ont pas mis en avant d’autres leviers nécessaires pour améliorer la place du piéton âgé dans l’espace public. Un signal faible à ne pas oublier apparaît cependant pour aider le piéton âgé dans sa marche et à garder l’équilibre : mettre à disposition des équipements comme une main-courante dans les rues en pente ou le long des rampes.

Cependant, il convient de nuancer l’application de ces 6 leviers universels en rappelant que la standardisation (par la norme) ne peut répondre à toutes les situations rencontrées (comment par exemple appliquer la norme des 1,40 mètres de large pour un cheminement dans des rues très étroites qui doivent concilier déambulation, passage des véhicules et stationnement ?).

Ces situations sont autant d’occasion pour apporter des solutions adaptées qui pourront demain devenir de nouvelles références ou de nouveaux repères.

Une sensibilisation nécessaire aux nouveaux usages de l’espace public

(espace partagé, zone de rencontre…)

Dans de nombreux cas rencontrés, le développement des principes de la ville apaisée apparaît souvent comme l’alternative à explorer pour améliorer les ambiances urbaines par le développement de quartiers en zone 30, de zones de rencontre limitées à 20 km/h ou de voies vertes mixtes piétons-vélos. A ce titre, sa mise en œuvre pourrait être accélérée.

Cependant, les participants ont fait de nombreuses remarques sur les vitesses excessives des véhicules, notamment dans les zones 30, et le non respect du piéton par l’automobiliste. Certes, ces exemples peuvent trouver des solutions au travers d’aménagements complémentaires (ralentisseur, rappel régulier des vitesses autorisées, panneau pédagogique interactif…).

Mais les observateurs ont également montré leur méconnaissance pour pratiquer les zones de rencontre limitées à 20km/h et souligné la cohabitation difficile entre les piétons et vélos sur les voies vertes.

De fait, l’aménagement de l’espace public est un levier pour améliorer les situations et les qualités d’ambiance des déambulations. Mais il ne suffit pas s’il n’est pas accompagné par le changement de comportement de tous les usagers, d’un plus grand respect entre les différents modes de déplacement.

A ce titre, ces nouveaux modes d’usage de l’espace public demandent une sensibilisation de tous les usagers pour expliquer comment les pratiquer. Il peut donc être envisagé des actions en ce sens, avec, par exemple, la réalisation et la distribution de documents pédagogiques à destination de l’ensemble des habitants de la Métropole et des campagnes de sensibilisation.

Parce que la ville de demain se fait à pied, il convient de poursuivre ces démarches pour que chaque usager puisse évoluer en toute sérénité.