Quel impact les confinements successifs ont-ils eu sur les violences conjugales ?

Face à une crise sanitaire d’une ampleur inédite, des mesures de protection des populations ont été mises en place sous la forme de confinements de portée variable. Ces mesures ont pu exacerber toutes sortes de tensions, avec parmi elles, la recrudescence des violences intrafamiliales.
Chaque année, ce sont près de 250 000 victimes qui sont comptabilisées. 88% d’entre elles sont des femmes (source : Observatoire national des violences faites aux femmes).
A l’occasion de la journée du 8 mars célébrant les droits des femmes, les données suivantes permettent de mesurer l’impact qu’ont provoqué les confinements successifs sur la question de ces violences faites aux femmes.
À l’échelle nationale, une hausse significative des violences
44 235 appels au 3919* entre le 16 mars et le 10 mai 2020.
Entre le 16 mars et le 10 mai 2020, un peu plus de 44 000 appels sont passés au 3919, la plateforme d’écoute des victimes de violences conjugales. C’est près de la moitié des appels de l’année 2019 (qui en comptait 96 000), condensés en l’espace d’à peine deux mois.
À l’occasion du lancement du Grenelle sur les violences conjugales, déjà, une nette augmentation des sollicitations avait été constatée. Les appels avaient alors atteint voire dépassés le nombre de 10 000 par mois à partir de septembre 2019, alors qu’ils étaient de 4000/5000 appels les mois précédents. Fin 2020, bien qu’ils n’aient pas retrouvé le niveau atteint lors du premier confinement, ils sont à nouveau de 9000 appels par mois, soit un retour aux moyennes du début d’année 2020, chiffres de l’après-Grenelle.
Pour autant, cela ne traduit pas de manière évidente une baisse des violences infligées au sein du couple. En effet, la diminution du nombre des appels peut s'expliquer par le fait qu'à la sortie du confinement, les victimes ont eu davantage la possibilité de sortir afin d’obtenir une autre écoute via les associations, les professionnel-l-e-s de santé (médecins, pharmacien-n-e-s) ou encore leur entourage.
À noter qu’à partir du mois d’avril, la part des appels passés par les victimes diminue. En effet, si elles sont 65,8% à se manifester d'elles-mêmes au cours du mois de mars, elles ne représentent plus que 57,7% des appels du mois d’avril. À contrario, la part des signalements provenant de l'entourage (famille, ami-e-s, collègues, voisin-e-s) augmente, passant de 24,9% pour mars à 31,3% au mois d’avril ; une vigilance accrue, signe que la sensibilisation à cette cause fait son chemin.
+ 60% de signalements enregistrés par la plateforme arretonslesviolences.gouv.fr** au cours du second confinement
Au cours des 56 jours qu’a duré le premier confinement entre le 16 mars et le 10 mai 2020, la plateforme enregistre une hausse des signalements de l’ordre de +40%.
Lors du second confinement, et malgré sa durée légèrement plus longue que le premier, 62 jours du 30 octobre au 15 décembre, les signalements augmentent de 60% soit 20 points de plus que durant le premier confinement.
Comment expliquer cette hausse ? Plusieurs raisons peuvent être invoquées : une meilleure connaissance de la plateforme, peut-être plus discrète qu’un appel, qui a permis de mieux signaler les cas de violences mais aussi une recrudescence des tensions, aggravées par la crise sociale et économique qui ne cesse de prendre de l'ampleur depuis le premier confinement.
Une tendance à la hausse des violences signalées qui se vérifie également sur Nantes Métropole : une activité intense au Centre Citad’elles***
Sur Nantes Métropole, cette observation peut se faire à travers les chiffres issus de la fréquentation du Centre Citad’elles. Unique en France, cette structure a ouvert quelques mois avant le premier confinement en novembre 2019. Au cours de celui-ci, considéré comme un service public essentiel, le Centre est resté ouvert 7j/7 et 24h/24. Il a toutefois recentré son action sur les situations d’urgence et de grave danger.
724 nuitées d’urgence – ont ainsi été proposées par le Centre Citad’elles en une année
Les femmes sollicitant la structure sont orientées selon la situation, soit vers le SIAO, soit vers l’association « Solidarité Femme ». Lorsque ces institutions ne sont pas immédiatement joignables, en soirée ou le week-end, Citad’elles a la possibilité de proposer une mise à l’abri en son sein ou au sein de structures partenaires. Le Centre dispose ainsi de trois logements (1 T2 et 2 T3). Si au cours des mois précédents le confinement, le taux d’occupation de ces derniers est de 60%, il atteint rapidement les 100% au cours de celui-ci. Les trois logements du Centre sont ainsi continuellement occupés à hauteur de deux mises à l’abri en moyenne par semaine. La durée de chaque séjour étant d’environ 3 jours, le temps que les dispositifs de droit commun puissent prendre le relai.
La prochaine étape ? La recherche de solutions transitoires, entre la mise à l’abri et l’accès à un logement ordinaire. L’enjeu étant de trouver une réponse rapide, pour une durée de quelques mois, le temps d’accompagner ces femmes vers un logement pérenne. En attendant, avec le dispositif actuel, 45 femmes et 50 enfants ont été relogés en urgence au total sur l’année.
1250 femmes accueillies au cours de la première année d’ouverture
En une année d’existence, le Centre a accueilli 1250 femmes. Des victimes aux profils variés (dont 54% de femmes avec enfant-s), venant majoritairement dans l’urgence. À la sortie du premier confinement, ce sont 96 femmes qui se présentent même chaque semaine entre le 12 mai et le 30 juin, ce qui équivaut à une augmentation de 20% par rapport à la fréquentation habituelle. Signe d’une activité toujours intense, en date du mois de novembre 2020, les victimes sont encore 80 par semaine à franchir les portes de la structure dont 25 « nouvelles venues ».
Au final, que peuvent nous dire ces chiffres ?
À première vue, ces résultats sont alarmants car marqués par une évolution à la hausse.
Mais cette évolution doit être perçue à travers le prisme du mouvement de libération de la parole des femmes victimes de violence.
En effet, le confinement a été un déclencheur pour certaines d’entre elles. Aussi, afin de mesurer plus concrètement l’impact que le confinement a pu avoir sur les violences intrafamiliales, des initiatives menées par des collectivités voient le jour. C’est le cas de la Région Nouvelle-Aquitaine qui a, par exemple, lancée une enquête « destinée à recueillir les expériences de témoins ou de victimes de violences sexistes et sexuelles (…) survenues avant ou pendant la période de confinement ».
Un premier pas pour mieux cerner le phénomène sur leur territoire qui pourra mener à terme à la création d’un « Observatoire régional sur les violences faites aux femmes » en Nouvelle-Aquitaine.
Les outils et structures cités
* Le 3919 : Géré par la « Fédération nationale solidarité femmes », la plateforme téléphonique propose une écoute, délivre des informations et oriente vers des dispositifs d'accompagnement et de prise en charge.
** arretonslesviolences.gouv.fr : Initiative d’origine gouvernementale. Lancée à l'automne 2018, «arretonslesviolences.gouv.fr » est une seconde plateforme de signalement. Elle est constituée d'un site police situé à Guyancourt (Yvelines) et d'un site gendarmerie à Rennes. Le signalement se fait à travers un service de messagerie auquel des agents répondent en orientant les victimes vers un commissariat ou une brigade de gendarmerie pour un dépôt de plainte ou, en cas de refus, vers des associations spécialisées. Une patrouille peut également être envoyée en cas de menace imminente.
*** Le Centre Citad’elles de Nantes : Ouvert en novembre 2019, le Centre se situe 8 Boulevard Vincent Gâche à Nantes. Il a pour vocation de proposer une prise en charge globale et coordonnée des femmes victimes de tous types de violences (physiques, psychologiques, sexuelles etc.) ainsi que de leurs enfants jusqu’à leur reconstructionContact : 02.40.41.51.51 - contact@nantescitadelles.fr
Sources :
https://www.lci.fr/population/trois-fois-plus-d-appels-au-3919-de-nombreuses-femmes-ont-enfin-verbalise-les-violences-conjugales-2160571.html
https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2020/07/Rapport-Les-violences-conjugales-pendant-le-confinement-EMB-23.07.2020.pdf
https://www.lexpress.fr/actualite/societe/violences-conjugales-60-de-signalements-en-plus-pendant-le-deuxieme-confinement_2142379.html
https://www.sudouest.fr/2020/06/05/violences-faites-aux-femmes-la-region-nouvelle-aquitaine-et-l-etat-lancent-une-enquete-en-ligne-7540934-2780.php
https://www.nantescitadelles.fr/
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44 235
appels au 3919* entre le 16 mars et le 10 mai 2020
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+ 60 %
de signalements enregistrés
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nuitées d’urgence
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femmes accueillies au cours de la première année d’ouverture